1. Le web comme désert
Une idée angoissante circule sur internet depuis quelques années : le web serait en train de devenir une immense chambre d’écho sans présence humaine. La quasi-totalité du contenu publié en ligne, les articles de blogs, les réseaux sociaux, les commentaires, serait généré par des programmes informatiques et destiné à n’être jamais lu que par d’autres programmes.
La Dead Internet Theory prétend qu’à partir des années 2016-2017, la proportion du trafic humain a chuté face aux contenus automatisés jusqu’à faire du web un espace mort, saturé de contenus rédigés et lus seulement par des IA.
L'hypothèse est extrême… mais pas complètement absurde. La simple utilisation d'un moteur de recherche permet de mesurer la part croissante des contenus artificiels.
Il y a quelques mois, une recherche Google sur le peintre Jérôme Bosch mettait en avant des pastiches générés par IA. Google, qui ne faisait pas la différence entre le vrai et le faux, a depuis corrigé manuellement son erreur. Mais au-delà de ce cas précis, on voit passer tous les jours des dizaines d’articles conçus sur le même modèle : étrangement difficiles à lire, constitués de listes à puces entrecoupées de publicités, semblant ne pas avoir été relus et seulement destinés à gaver les algorithmes de Google pour gagner quelques places dans les résultats de recherche.
Il existe en effet des services d’IA proposant d’écrire pour vous du texte à la chaîne dans le but d'améliorer votre visitiblilté. Publiez, publiez, publiez encore ! Dix articles, cent, mille ! Personne ne les lira, mais les robots de Google vous feront peut-être monter d'une place.
La création de contenus sur le web commence alors à ressembler aux rituels militaires du fort Bastiani, dans Le désert des Tartares de Dino Buzzati : une espèce de ballet complètement absurde, qu'on exécute parce qu'il faut l'exécuter mais qui ne signifie rien, qui ne mène à rien.
Drogo, maintenant, pensait aux factionnaires qui, à quelques mètres de lui, marchaient de long en large, tels des automates, sans s'arrêter jamais pour reprendre haleine. Ils étaient des dizaines et des dizaines (…) mais pour qui, pour quoi ? Dans ce fort, le formalisme militaire semblait avoir créé un chef-d'œuvre insensé. Des centaines d'hommes pour garder un col par lequel ne passerait personne.
2. L'IA et le SEO : la quantité étouffe le sens
Les services qui promettent de générer 10 articles en un clic veulent vous aider à occuper le terrain sémantique avant vos concurrents. Ils y parviennent sans doute, en bourrant les textes de mots clés avec la bonne densité, et en vous proposant même des listes de sujets à traiter.
Leur angle mort toutefois, c’est le lecteur. Disons : le lecteur humain.
Google rappelle que l’usage de l’IA n’est pas interdit ; ce qui est à proscrire c’est la production de contenu servant uniquement à manipuler le classement. C’est-à-dire du texte vide, sans valeur ajoutée. Des mots qui se suivent pour satisfaire une machine.
3. Ce qui gagne à la fin, c’est la vie
L’ironie, c’est que plus on gave l’algorithme, plus on le pousse à renforcer ses filtres de qualité (Google Helpful Content System, AI Mode...) Car les moteurs doivent servir les internautes, et que les internautes sont des êtres humains qui cherchent des réponses et non des mots-clés. Les critères de classement des sites web évoluent donc sans cesse, mais cette constante demeure : tout ceci doit viser de véritables personnes. C'est ainsi qu'en 2023, Danny Sullivan, porte-parole de Google sur la partie Search, suppliait les webmasters dans un tweet de cesser de penser leur site pour Google, et de se concentrer d'offrir un "bon site" pour leurs visiteurs.
L’expérience vécue, la prise de position, le ton sincère tranchent sur le bruit de fond. L'organisation claire des contenus et les efforts pour que les visiteurs en retirent quelque chose attirent les liens naturels. Les articles qui laissent paraître la voix de leur auteur engrangent les partages et la loyauté des lecteurs. Des communautés se forment autour de ces zones de sens. Le bouche-à-oreille agit sur le web comme dans la vie.
Même si Google continue à se faire piéger par la masse de contenu artificiel générée chaque jour, participer à ce mouvement est une stratégie de court-terme : on peut d'ores et déjà parier sur le fait que ce seront toujours les réflexions originales, issues de votre expérience du métier, qui l'emporteront.
4. Travailler à sa propre échelle
Misez sur la régularité. Un article hebdomadaire bien tourné vaut mieux qu’une rafale quotidienne de listes à puces. Parler métier, raconter son expérience sur un ton clair et simple, donner des exemples, c’est ce qui distingue un article vivant d’un bulletin algorithmique.
Quant à l’optimisation des mots-clés, inutile de se mettre la rate au court-bouillon. Choisissez un ou deux mots-clés cohérents, intégrez-les naturellement dans votre texte, puis oubliez-les pour raconter quelque chose d’intéressant.
Pensez à vos lecteurs avant de penser à fournir des données aux robots.
Non seulement, le SEO suivra sur le long terme comme une conséquence naturelle, mais vous capitaliserez sur d’autres plans : la sympathie, la confiance, la réputation, et la fidélité de vos clients.
5. La standardisation n’est pas une fatalité
Sur le web comme dans la société, la standardisation des contenus et de la pensée n'est pas une fatalité. Restez vif, honnête, enthousiaste, parlez de votre métier, offrez du sens à ceux qui vous lisent : c'est l’optimisation qui compte le plus.